Contributions au débat sur la Métropole (4) Michel Bourgain : Non au round up administratif ! Pour des coopérations renforcées entre territoires respectés !

L’amendement gouvernemental au projet de loi de décentralisation, voté le 3 juillet 2013 par la Commission des lois de l’Assemblée Nationale, vise à supprimer les communautés d’agglomération des trois départements de la petite couronne de Paris. Par ordonnance, les compétences que les communes leur ont transférées volontairement seraient kidnappées par la Métropole du Grand Paris. Cette négation de la coopération librement consentie des communes constitue une atteinte inacceptable aux fondement de la République.

Tels les fidèles au culte du Dieu Moloch, quelques ammonites modernes voudraient tuer les premiers nés des coopératives de territoires en les jetant dans le brasier de la rationalité administrée.

Extensible aux 412 communes de l’unité urbaine de Paris, peuplée aujourd’hui de 10 millions et demi d’habitants, cette création artificielle finirait par dévorer inexorablement l’espace administratif de la région.

– Représentées par un seul membre dans un nouveau Conseil d’agglomération d’environ 240 membres, les communes de moins de 30 000 habitants seraient réduites à l’anonymat. La grande majorité des autres seraient exclues des pouvoirs de l’exécutif.

– Noyées dans un Conseil communautaire, dont un quart des membres seraient d’office représentants de la Ville de Paris, la grande majorité des 124 communes de la première couronne seraient inexorablement soumises aux exigences de la ville centre et aux marchandages des partis aujourd’hui les plus influents.

– Sans autonomie fiscale, sans budget propre, sans compétences de projet, sans services autres que ceux mis à disposition par le Grand Paris, les Conseils de territoires, appelés à remplacer les conseils communautaires actuels, seraient réduits au statut de mairie d’arrondissement de Paris et les communes au rang de conseil de quartier.

La négation des bassins de vie géographique, social, culturel, économique constitués au fil de l’histoire priveraient les territoires de leurs pouvoirs d’agir, de leur singularité, de leur identité, de leur reconnaissance. Elles provoqueraient une mutilation de leur identité.

Mesdames et Messieurs,

Je le dis avec gravité. La vitalité territoriale ne s’administre pas. L’audace, la création, l’innovation, tous ces engagements qui dynamisent les territoires à taille humaine poussent sur l’humus fertile de leurs diversités. En éliminant les dynamiques spontanées qui construisent un Grand Paris coopératif, le round up administratif n’aboutirait qu’à technocratiser une gouvernance uniformisée et à assécher les échanges, les croisements, les réseaux à la source de la richesse contemporaine. La résilience de nos territoires s’en trouverait fragilisée.

Nous entendons les inspirateurs de l’amendement gouvernemental invoquer les nécessités et les urgences « de résoudre la crise aiguë du logement, d’organiser la transition écologique, de garantir la cohésion sociale et d’assurer une solidarité financière du territoire ». Nous partageons ces préoccupations.

Peut-on pour autant y répondre en faisant table rase du passé ? N’y aurait-il pas quelque suffisance à ignorer ce que nous apprennent les réponses actuelles, aussi perfectibles soient-elles, à ces préoccupations ?

Notre communauté d’agglomération a-t-elle manqué à ses devoirs de responsabilité métropolitaine pour engager la transition écologique ? En 10 ans, Plaine Commune a mis au point et en œuvre un SCOT, un Plan communautaire de l’environnement, un référentiel d’aménagement soutenable, une charte de construction neuve, une autre de réhabilitation des logements, un Plan climat énergie, un Agenda 21, une Agence communautaire de l’énergie et bien d’autres contributions partenariales aux initiatives de la Région, du Département, de la ville de Paris et d’autres agglomérations. Ces contributions au bien public ont-elles appauvri le territoire ? Non. Faut-il y chercher quelques enseignements à généraliser ? Certainement.

Notre communauté d’agglomération a-t-elle manqué à ses devoirs métropolitains de construire des logements et de contribuer à résorber leur pénurie ? Non. Notre communauté d’agglomération construit 2 700 logements par an, dont 30 à 40% social, conformément aux engagements pris dans le Plan local de l’habitat. Bientôt soumis à l’enquête publique, le Contrat de développement territorial, mis au point entre l’Etat et la communauté d’agglomération, prévoit la construction de 4 200 logements par an. Notre communauté d’agglomération est-elle à la hauteur de ces responsabilités en matière de construction de logements ? Oui. Y a-t-il un seul autre territoire francilien, Paris y compris, engagé aussi intensément dans cette cause ? Non.

En matière de cohésion sociale, quel territoire de la première couronne connaît mieux que Plaine Commune les déchirements sociaux provoqués par l’économie sinistrée, par la pénurie de logements et par la concentration humaine dans les cités ? Quel autre territoire de la première couronne peut aligner comme Plaine Commune un Contrat de renouvellement urbain de 24 sites, neuf contrats urbains communaux de cohésion sociale et un contrat urbain communautaire, les clauses sociales dans tous les marchés publics, la croissance régulière de l’emploi sur place, la dynamique de l’économie sociale et solidaire, la lutte commune pour la réussite scolaire, l’accueil du Forum mondial de la sécurité urbaine…

Reste la solidarité financière. Notre Communauté d’agglomération manque-t-elle à ses devoirs de solidarité métropolitaine lorsqu’elle assume, pour le compte des communes, des compétences élargies d’aménagement, d’urbanisme, de voirie, d’assainissement, de lecture publique et de médiathèque et j’en passe…, lorsqu’elle répartit ainsi entre les communes, selon un lissage équitable et une approche coopérative, les richesses issues de la fiscalité territoriale et des dotations de l’Etat.

Permettez-moi à ce stade du propos, d’ouvrir la fenêtre des enjeux de la solidarité entre territoires riches et pauvres au sein du Grand Paris. Quelles richesses pourrait produire une communauté d’agglomération de 7 millions d’habitants, administrée à la longue vue, dans la méconnaissance des compétences, des savoirs-faire, des savoirs-être, des échanges de proximité, bref, des capacités portées par la multitude ? La richesse produite serait standar-disée, impersonnelle, hors sol, dont le nom se résume à un mot : l’argent, dominé par la finance, aspirant notre métropole dans la compétition féroce entre les mégalopoles mondiales.

Faut-il rappeler l’exception française en matière de gouvernance territoriale, nourrie de l’engagement volontaire de prés de 600.000 élus locaux chevillés à la complexité des tissus vivants qui font la mosaïque de notre territoire ?

Faut-il rappeler la capacité des communes à mettre en place des coopérations multiples depuis les syndicats communaux jusqu’aux communautés urbaines, taillées sur mesure en fonction du bassin versant ici, du bassin économique là, des relations frontalières ailleurs… ? Il est de bon ton, dans certains cercles, de brocarder le millefeuille administratif français qui serait coûteuxpour les finances publiques. Cet enchevêtrement administratif n’est-il pas également le fondement de la résilience de la société française, de sa capacité à résister aux chocs les plus violents.

Cette résilience a un coût bien sûr. Il est souvent réduit à son aspect monétaire, oubliant de reconnaître les bénéfices incommensurables de la qualité du service public, du professionnalisme de ses millions d’agents, du dévouement quotidien de ses élus au bien public. Ont-ils comparé, ces accros de la calculette, les coûts / bénéfices globaux de la gouvernance coopérative à la française à ceux de la gouvernance administrée ou de la gouvernance ultra-libérale ?

Résumons-nous.

D’un côté, une pluralité d’intercommunalités à taille humaine, en marche et qui marchent, en capacité de transcender les particularismes locaux et les querelles partidaires au service de projets singuliers vivants. Des projets territoriaux qui échangent, s’entendent, coopèrent, appri-voisent la complémentarité. Des élus conscients de la nécessaire solidarité active à travers une répartition équitable des territoires au bénéfice de la cohésion générale et du dynamisme de tous.

De l’autre, une mega-intercommunalité de 6,7 millions d’habitants ouverte à 10 millions et demi, imposée contre la volonté des élus locaux, condamnant les communautés d’agglomération expérimentées à la dissolution, administrée d’en haut, aveugle à la finesse de la mosaïque territoriale, aspirée inexorablement dans la spirale de la rivalité mégapolitaine mondiale.

C’est pourquoi, au nom de la commune de L’Île-Saint-Denis et du groupe des élus communautaires écologiques, socialistes indépendants et citoyens de Plaine Commune (que son président m’a demandé de représenter) nous, élus communaux et communautaires, de sensibilités diverses, mécaniciens du quotidien, dévoués au bien public, imprégnés des souffrances, des espérances et des capacités de nos concitoyens :

  • exprimons notre opposition résolue à la disparition des communautés d’agglomération existantes des trois département de la première couronne de Paris,
  • exprimons notre pleine disponibilité à compléter l’architecture institutionnelle francilienne selon le principe de subsidiarité, sur la base de communes consolidées comme espace démocratique, de l’élargissement des intercommunalités de projets pour des territoires solidaires, de la capacité planificatrice élargie de la région.

Dans ce cadre, nous convenons qu’un large consensus pourrait se construire sur :

  • des intercommunalités qui contractualiseraient leurs relations financières avec l’Etat et la Région dans le cadre des Contrats de développement territorial, particulièrement sur des objectifs de production de logements, d’accueil des emplois et de construction des équipements publics d’accompagnement.
  • la mise en place d’un fonds de péréquation financière dotée d’une véritable force distributive et de correction des inégalités territoriales.

A défaut de volonté entre les intéressés, il revient à l’Etat, dans les domaines précités, de prendre toute décision visant à faire partager, à toutes les collectivités territoriales, les responsabilités et les moyens de réalisation d’une métropole équilibrée et solidaire.

 Michel Bourgain est maire de l’Île-Saint-Denis et vice-président de Plaine Commune